"Le 24 juillet 1944, l’armée rouge découvre le camp de Majdanek en Pologne. Sept mille détenus sont encore en vie, incapables de marcher, de se déplacer et sont proches de rendre leur dernier souffle. La stupeur et l’horreur sont telles que débute tout d’abord une phase de censure, tant on ne sait comment apprendre au monde l’existence de ces camps de la mort. Les alliés continueront à les découvrir jusqu’au 8 mai 1945 avec la libération du dernier d’entre eux, Terezin au nord de Prague.
Lorsque la nouvelle est enfin rendue publique, le choc est immense et le dégoût infini.
Aujourd’hui nous ne commémorons pas de grande bataille, de grande victoire ou des actes héroïques, aujourd’hui, nous ne commémorons que la mort, l’horreur, l’intolérable, les plus bas et les plus vils instincts que la terre ait jamais portée.
Ces actes n’ont pas été perpétrés dans des temps très lointains par des peuplades primitives, ni lors de périodes où la torture et les exécutions sommaires faisaient partie du quotidien.
Non, ces actes ont été commis au 20ème siècle, notre siècle, celui de la naissance de la plupart d’entre nous.
Certains même, bien que bien jeunes pendant la seconde guerre mondiale, sont contemporains de ces massacres.
Parfois les mots sont forts, durs, ils peuvent faire très mal.
Pourtant aucun n’est aussi aigu que le bruit strident des trains sur les rails.
Aucun n’a la dureté des coups de crosse reçus par les déportés.
Pas un ne traduira l’ampleur du déchirement des mères se voyant retirer leurs enfants, des femmes enlevées à leurs maris.
On ne peut pas décrire à quel point cette machine implacable, inexorable, d’une cruauté sans égale, s’est mise en place avec un seul but, exterminer le plus grand nombre.
Bien souvent, on dit que la réalité dépasse la fiction.
Si nous ne trouvons pas assez de mots pour décrire l’indescriptible, nous devons impérativement nous souvenir.
Nous souvenir, commémorer, mais pas seulement.
Nous souvenir bien sûr des 6 millions de victimes de la déportation, juifs, tziganes, homosexuels, opposants allemands, résistants de tous pays et bien d’autres encore.
Nous souvenir du Vel d’hiv, de Drancy, de Mathausen, de Dachau, de Buchenwald ou encore d’Auschwitch et de son boucher le tristement célèbre Joseph Mengele.
Nous souvenir aussi des principaux responsables : Adolf Hitler bien entendu, Heinrich Himmler son ministre de l’intérieur, patron des SS, ayant la responsabilité entre autre des camps de concentration, son adjoint Reinhard Heydrich, grand architecte de la solution finale, Adolf Eichmann, le responsable de toute la logistique de la déportation, ...
Commémorer bien évidemment les victimes et ceux qui en sont revenus dans un état pitoyable, marqués à vie, non seulement par le numéro tatoué sur leur peau, mais aussi par ce qu’ils ont vécu, tracé de manière indélébile dans leur chair, leur souvenir et leur âme.
Mais il nous faut aller au-delà de ce simple devoir de mémoire.
Nous devons impérativement veiller à ce que cela ne se renouvelle pas. Nous devons nous engager plus profondément encore, à défendre toujours et partout une certaine idée de l’humanité, à combattre sans faiblesse les résurgences de l’inacceptable et à faire vivre les valeurs portées par la République et la déclaration universelle des droits de l’homme qui sont notre héritage, notre bien commun et notre fierté.
C’est pour cela que cette célébration en particulier n’est pas seulement tournée vers l’histoire mais bien vers notre présent et surtout notre avenir.
Les personnes ayant perpétré ces actes n’étaient à l’origine pas des monstres. Rien ne les prédestinaient à devenir les plus grands assassins de masse que l’humanité ait connue.
La question demeure de savoir comment ces milliers d’hommes et de femmes appartenant à la classe moyenne d’un pays dit civilisé, éduqués, à qui on avait enseigné la morale, la religion, le droit, les enseignements de l’histoire ont-ils pu basculer dans l’horreur la plus absolue ?
Comment ont-ils pu accepter de torturer de leur propres mains, de massacrer ou de faire massacrer sous leurs yeux et de sang-froid, des milliers, des millions d’êtres humains, hommes, femmes, enfants, vieillards, totalement sans défense, simplement coupable d’exister ?
Ceux qui ont organisé les rafles dans les différents pays se doutaient bien que le sort des futurs déportés serait dramatique et sont bien évidemment complices.
Mais au-delà, comment les témoins directs et indirects de ces abominations ont-ils pu continuer à vivre comme si de rien n’était ?
Les villes voisines, les employés du rail, les fermiers et ouvriers alentours, ont tout vu, tout entendu, tout senti, car l’odeur de ces millions de personnes que l’on calcine ou de ces corps qui pourrissent, emplit l’atmosphère.
Pour le moins, ils ont compris ce qui se passait, en voyant une multitude d’êtres humains entrer dans les camps, trop petits pour les loger et ne les voyant jamais ressortir.
Mais ils n’ont rien dit. Non pas qu’ils adhéraient forcément à l’idée de la solution finale, mais la peur est l’alliée la plus puissante des oppresseurs, cette peur qui s’installe au fond de vos entrailles et vous fait accepter l’inacceptable, brise votre capacité de résistance et de révolte, insère même au fond de vous l’idée que vous êtes heureux de ne pas avoir été dans le lot.
Les opprimés eux-mêmes se sont laissés mener à l’abattoir sans se rebeller, passant même pour certains toutes les étapes de leur propre déchéance et de leur propre souffrance dans l’acceptation silencieuse. Les juifs, par exemple, ont tout d’abord été montrés du doigt, puis persécutés, puis marqués avec une étoile jaune comme du bétail, ghettoïsés, et enfin éliminés dans les camps de la mort. Cette descente aux enfers n’a, en réalité, connu que très peu de rébellion.
La peur qui amène à la privation de liberté et à l’acceptation de l’inacceptable. La Boétie dans son discours sur la servitude volontaire écrivait en 1576 : « Il est incroyable de voir comment le peuple dès qu’il est assujetti, tombe soudain dans un si profond oubli de sa liberté qu’il lui est impossible de se réveiller pour la reconquérir : il sert si bien, et si volontiers, qu’on dirait à le voir qu’il n’a pas simplement perdu sa liberté, mais gagné sa servitude ».
Heureusement certains se sont levés, n’ont pas accepté cette résignation collective.
Bien entendu, tout le monde ne peut pas être un Jean Moulin, avoir le courage d’un Guy Moquet face à la mort, ni le sens du sacrifice de ces soldats russes dans l’enfer de Stalingrad ou encore de ces soldats américains venus se faire tuer bien loin de chez eux sur les plages de Normandie. Tous les hommes de pouvoir ne peuvent être de Gaulle ou Churchill.
Pour autant doit-on accepter l’inacceptable, l’intolérable, l’horreur à côté de soi sous prétexte que l’on n’est pas directement touché ou que l’on a quelques intérêts à préserver ?
La réponse devrait être NON !
Il va falloir que ce soit NON !
Cela ne peut-être que NON !
Le danger est toujours présent, les bourreaux allemands de l’époque étaient en tous points semblables à nos aïeuls.
Leurs attentes, étaient les mêmes. Comment ont-ils pu basculer ?
Sommes-nous à l’abri d’un nouveau désastre moral collectif ?
Je pense que malheureusement NON !
Même si le l’extermination de masse, programmée, planifiée, organisée, n’est pas aujourd’hui de mise, on continue de tuer gratuitement parce qu’on n’est pas de la même religion, de la même couleur de peau, de la même communauté, voire du même groupe ou du même quartier.
On ne tue pas forcément pour acquérir les biens de l’autre, son pouvoir, ou son pays.
Des hommes, des femmes, des vieillards, des enfants, se font tuer simplement parce qu’ils sont très légèrement différents.
C’était vrai il y a bien longtemps, c’était vrai lors de la période de déportation, c’est toujours vrai aujourd’hui.
On détruit, on torture, on assassine l’autre parce que l’on estime qu’il est différent.
NON, décidément, l’hydre n’a pas disparue, il nous faudra continuer tous ensemble à la combattre sans relâche, il faudra refuser que la peur, l’acceptation ou les compromissions viennent entraver la soif de la très grande majorité d’entre nous de vouloir vivre en paix et en harmonie.
Vive la République,
Vive la France".
______________________________ François Arizzi,
Maire de Bormes les Mimosas